Suite de l'article de A. Daubrée :

L'exemplaire dont il vient d'être question est le plus ancien que l'on connaisse. Il paraît, d'après l'enquête faite par M. von Dechen , qu'il n'en existe pas d'autre (C'est sans succès que M. Zapf, conseiller intime à Augsbourg, en a recherché un exemplaire de 1778 à 1791.). Toutefois il a été signalé des éditions postérieures du Bergbüchlein, en date des années 1512, 1518, 1527, 1534 et 1539, imprimées à Augsbourg, Worms et Erfurt ; l'ouvrage, tout amphigourique qu'il était, trouvait donc bien des acquéreurs. Notre Bibliothèque nationale en possède un exemplaire sans date, en 24 pages, probablement du XVIe siècle. Cette édition est , à très peu près , la reproduction de celle de 1505 , sauf quelques variantes dans les figures : sur l'une d'elles, les rayons du soleil sont représentés par des séries de lignes doubles faisant des angles très aigus ou pointes, dirigées vers la terre.

Observations.

C'est ainsi qu'une coopération de la terre et du ciel était supposée présider à la naissance des minerais métalliques dans les filons.

Pour cette croissance, il faut un élément géniteur et une chose soumise, ou matière assujettie , qui soit capable de percevoir l'action génératrice.

D'une part, le géniteur général est le firmament, avec son mouvement, particulièrement le soleil et les sept planètes.

D'autre part, la terre fournit des émanations , de l'humidité, du soufre et du mercure, qui s'unissent sous l'action des planètes pour former un minerai. Dans cette union, le soufre se comporte comme la semence mâle, le père ou l'esprit, et le mercure comme la semence femelle ou la mère, lors de la conception d'un enfant.

Chaque sorte de minerai métallique correspond à une influence spéciale de sa planète particulière (Le minerai n'est pas un corps simple ; il se compose de deux substances qui sont, respectivement, de la nature du soufre et du mercure ordinaires isolés, mais qui néanmoins ne sont pas identiques à ces éléments et qui peuvent d'ailleurs varier en humeur et en pureté.).

Néanmoins cette action simultanée ne suffit pas pour permettre à la génération de s'accomplir. Il faut, en outre, un réceptacle naturel, bien approprié et comparable à l'utérus chez les animaux. Tels sont les filons, verticaux et autres, pour servir de passage aisé à l'agent minéralisateur. La situation des réceptacles par rapport aux positions des astres, c'est-à dire leur orientation, importe beaucoup pour donner tel ou tel minerai.

Ces croyances des mineurs représentent, on le voit, une association d'idées de deux ordres absolument distincts : celles de leurs observations journalières et de leurs connaissances pratiques avec les doctrines antiques des alchimistes.

La différence dans la nature des minerais, suivant les diverses directions des filons, telle que la faisaient reconnaître si clairement les exploitations de la Saxe , notamment celles de Freyberg , était de nature à confirmer cette confiance dans une intervention des astres sur les générations métalliques.

Dans le Bergbüchlein, reflet fidèle de ces idées, la doctrine est exposée sous une forme essentiellement affirmative, tout comme s'il s'agissait de théorèmes de géométrie. Dans un exposé extrêmement court, d'environ 21 pages de petit format, à côté de la description de l'instrument essentiel , la boussole, la place tout à fait prédominante est accordée à l'influence génératrice des astres. La connaissance de cette action, quelque mystérieuse et vague qu'elle soit, est supposée non moins indispensable que la notion de la boussole à celui qui exploite les mines métalliques.

Comme pour éclaircir et mieux fixer le phénomène dans l'esprit, une série de figures représente les effluves, partant de la planète , ainsi que les émanations exhalées du sol et désignées sous les noms d'efforescences et brumes de la montagne (Witterung und Nebel des Bergs).

Les Babyloniens, on le sait, croyaient déjà que les planètes ont une influence sur toutes les créatures et sur tous les objets répandus à la surface de la terre. C'est à eux également que paraît remonter l'attribution respective aux sept planètes des sept métaux qu'ils connaissaient : les correspondances rappelant la ressemblance de la teinte de la lumière des uns avec la couleur des autres. Cela résulte des écrits de Proclus au Vè siècle, dans son commentaire sur le Timée et de ceux d'Olympiodore au VIè siècle, c'est-à-dire à une époque bien postérieure à celle où florissait l'école astrologique des Babyloniens. Un savant russe, M. Chwolsohn, a publié en allemand un ouvrage remarquable qui confirme le fait. Plus tard, ces idées, après avoir passé par l'Égypte , furent transmises aux Grecs , et de nouveaux noms, traductions des précédents, furent substitués par les astrologues et les philosophes néo-platoniciens aux noms orientaux qui servaient à désigner les planètes respectives.

Apportées à Constantinople, les notions dont il s'agit furent transmises aux Arabes vers les VIIè et VIIIè siècles, à l'époque de Geber. Enfin les Arabes de Syrie et d'Espagne les enseignèrent dans l'occident.

Leonardi de Pise, nommé aussi Fibonacci, après avoir voyagé au XIIè siècle parmi les Arabes de la Barbarie , en rapporta leurs connaissances. Il ne leur emprunta pas seulement l'usage des chiffres que nous nommons arabes et qu'il introduisit en Italie. On lui doit aussi un livre intitulé Camilli Leonardi, cui accessit septem metallorum ac septem selectorum lapidum ad planetas(Paris 1610, in-8° . Bibliothèque nationale.) ou se trouvent les doctrines qui avaient cours alors et le germe des idées du Bergbüchlein.

Après avoir rappelé dans l'introduction les couleurs des sept planètes, il dit dans le chapitre premier intitulé De septem lapidibus planetarus (Ouvrage précité, p 255) : « L'Arabe Balemis, dissertant dans son traité d'archéologie (livre II, chapitre VIII) par quelle manière les astres peuvent aussi produire une force active sous la terre, s'efforce de prouver que les métaux et les pierres ne peuvent se développer (vegetare), à moins qu'une force coulante (vis fluxiva), dont le vrai nom est seilen, ne leur soit accordée par une planète spéciale. C'est pourquoi il affirme qu'on ne peut attribuer aux planètes que les sept pierres d'élite (selectissimi) et les sept métaux, et que telle est la sympathie des uns pour les autres qu'une fois placés ensemble, et toutes précautions prises, ils peuvent produire des effets admirables (Adeo ut, simul positis et omnibus bene observatis, effectus mirabiles pro ducere valent).

Suit une figure expliquant cette correspondance : turquoise et plomb ; émeraude et fer ; améthyste et cuivre ; cristal de roche et argent ; aimant et vif-argent ; diamant ou saphir et or ; carniole et étain.

Dans le chapitre V, De sympathia metallorum ad planetas, le texte latin peut se traduire à peu près ainsi : « Il a été dit et démontré par quelle manière les métaux et les pierres sont mutuellement liés (in causa generativa et productiva ad invicem ) ; il reste à considérer pourquoi tel métal convient à une planète plutôt qu'à une autre et pourquoi telle pierre est consacrée (dicatur) à telle planète. . . Nous avons démontré que les pierres et les métaux dérivent de la même matière (etiam aequalem materiam lapidibus et metallis exstare). »

Le chapitre VII est consacré aux qualités planétaires.

Les rêveries astrologiques relatives à la naissance des métaux ont persisté postérieurement à ces siècles du moyen âge.

Ce n'est pas toutefois qu'il n'y ait eu des protestations isolées contre de telles assertions.

A l'époque même où s'imprimait le Bergbüchlein, Léonard de Vinci crut devoir combattre les idées astrologiques comme une erreur assez répandue ; on le voit dans les passages suivants de ses manuscrits, qui concernent l'état ancien de la terre et les témoignages de l'intervention de la mer dans la formation des continents : « Et si tu veux dire que les coquilles sont produites par la nature moyennant les constellations, par quelle voie montreras-tu que les constellations font les coquilles de diverses grandeurs et de diverses espèces en un même endroit (Charles Ravaisson-Mollien, Les manuscrits de Léonard de Vinci. Manuscrit F, fol. 8o V') ». « Si elles étaient dues aux étoiles, il s'en reproduirait encore aujourd'hui en quelque lieu , et je te défie de m'indiquer sur la terre un point où ce travail de formation s'accomplisse. Et d'ailleurs comment expliqueras-tu par des influences sidérales la présence, à diverses hauteurs, des bancs de graviers où l'on distingue des cailloux qui n'ont pu être arrondis qu'à l'aide du mouvement des eaux? Et comment expliqueras-tu par les astres le grand nombre de feuilles fixées dans les pierres sur le haut des montagnes? Et l'algue, herbe marine entremêlée de coquilles et de sable, le tout pétrifié dans la même masse, avec des écrevisses de mer morcelées et mélangées à ces coquilles ? Pour moi , il m'est impossible de ne pas y voir une preuve du séjour des eaux en ces lieux (Venturi, Les manuscrits de Léonard de Vinci, p. 12 et 13). »

Palissy, sans avoir connaissance de ces lumineuses indications , arrivait de même, soixante ans plus tard, par l'examen du sol de son pays, à reconnaître la signification des animaux fossiles.

Quarante années après la publication du Bergbüchlein, Agricola aussi se montrait tout à fait réfractaire aux doctrines astrologiques de ce livre. Dans son ouvrage intitulé De ortu et causis subterraneorum, publié en 1544 et au 5em livre, où il traite des métaux et des hypothèses relatives aux matières métalliques, il ose ridiculiser la doctrine des alchimistes sur le soufre et le mercure, qu'il qualifie d'impossible. Il réfute aussi assez longuement celle de l'influence des planètes qui, dit-il, sont seulement au nombre de sept, tandis que les métaux sont beaucoup plus nombreux. Quant à l'opinion personnelle de ce métallurgiste, « la matière métallique , dit-il , est un mélange de terre et d'eau qui se fait sous l'influence des eaux souterraines par l'action de la chaleur et du froid, conformément à l'idée d'Aristote. »

Cependant, malgré ces oppositions, et quelque singulière qu'elle soit, la croyance à l'influence des planètes, conserva du crédit longtemps encore après l'époque où nous venons de l'étudier.

« Les mouvements du ciel sont la première cause de génération et, de corruption qui se font ici-bas. . . Selon l'ordonnance de la nature et par la puissance divine, il est de nécessité que les corps célestes influent sur les choses extérieures. » Telles sont, comme exemple, deux phrases d'un petit volume imprimé à Metz en 1510 et devenu très rare (Pronostications nouvelles pour l'an 1510. Bibliothèque de la ville de Metz).

Nous voyons la persistance des anciennes idées , pendant le XVIIè siècle dans un ouvrage bien connu :

« Il est certain que la génération des métaux et des minéraux, est-il écrit, en 1640, dans la Restitution de Pluton (Dédié à Monseigneur l'Éminentissime cardinal duc de Richelieu. Gobet, t. I, p . 381 et 338), par la dame et baronne de Beausoleil, se fait par l'action des corps célestes et de la matière, d'exhalaisons chaudes et sèches enfermées dans les entrailles de la terre. La matière s'épaissit, s'endurcit et devient pierre ; et selon la diversité des veines de la terre, des conjonctions des astres ou planètes et des différents aspects du soleil et des étoiles, et encore des sujets dont les exhalaisons et vapeurs sont composées, les pierres sont donc de prix ou de nulle valeur, opaques ou transparentes , claires ou diversement colorées. Ceux qui sont maîtres des mines doivent savoir l'astronomie pour divers motifs. »

Il n'y a guère plus d'un siècle, en 1753, Lehmann, membre de l'Académie de Berlin et conseiller des mines de Prusse , croyait encore dans un ouvrage estimé (Traité de la formation des métaux, tome I, p. 191 Traduction française, 1759), devoir réfuter ces opinions relatives aux influences des planètes. « Cependant, ajoutait-il, comme on a remarqué que les métaux , surtout l'or, semblent affectionner le midi , on ne peut en donner, selon moi, de raison plus plausible qu'en disant que le soleil par sa chaleur échauffe les fentes des montagnes. C'est là le seul corps céleste dont nous ne puissions nier l'influence , quoique nous ayons des raisons pour la renfermer dans des limites très étroites. »

Vers la fin du XVIIIè siècle, Wallerius, tout en reconnaissant avec justesse que souvent les mines métalliques et les métaux ne sont pas si âgés que les montagnes qui les renferment, pensait que l'eau se change en terre , que la terre calcaire , ainsi que la terre fusible et vitrescible , est un produit des eaux (De origine mundi, 1779, p.92,93 et 123).

Enfin, en 1784, Guyton de Morveau croyait encore à la transmutation de l'argent en or, et Bergmann lui-même ne repoussait pas tout ce qui se disait à ce sujet.

Que de changements survenus dans la connaissance des gîtes métallifères, en moins d'un siècle, depuis qu'ils ont été l'objet d'innombrables observations précises et exactes, telles que les exige aujourd'hui l'art des mines! Habilement coordonnées, ces observations servent de base à des théories . auxquelles la synthèse expérimentale elle-même est venue apporter son contrôle. Quels que puissent être les progrès ultérieurs et les transformations de la science, nous possédons dès aujourd'hui des faits certains, destinés à persister au milieu des changements que le temps apportera nécessairement à nos connaissances.

Mais , avant l'ère de la géologie positive, il fallait des réponses à tous les problèmes que se posait l'esprit, alors même qu'on n'avait aucun fondement pour les résoudre, et les hypothèses ainsi sorties du pur domaine de l'imagination étaient susceptibles d'acquérir un crédit incontesté.

Au point de vue de l'étude de l'esprit humain, il est bien remarquable de voir avec quelle persistance les erreurs et les illusions les plus bizarres se sont perpétuées ; combien de générations les ont acceptées comme des vérités.

On voit ainsi combien notre intelligence a besoin d'efforts méthodiques pour s'approcher graduellement de la vérité.

A. DAUBRÉE.